Horaires excessifs, fatigue chronique, burnouts, surcharge administrative, agressions… Les soignants libéraux sont en souffrance, d’après l’enquête menée par Doctolib et l’association Soins aux professionnels de santé (SPS) avec Grenoble Ecole de Management. Heureusement, la vocation reste intacte chez la majorité d’entre eux. Le livre blanc qui présente ces résultats vient de paraître.
Interview d’Olivier Arsène, Enseignant-chercheur et coordinateur de l’axe Santé de la chaire Digital Organizations & Society (DOS) de Grenoble Ecole de Management (GEM).
Pourquoi avoir axé cette enquête sur les professionnels de santé libéraux ?
Olivier Arsène : Ils représentent un tiers des soignants français, mais leurs conditions de travail sont bien moins documentées que celles de leurs collègues hospitaliers. En revanche, leur charge s’alourdit : quand on ferme des maternités rurales ou des petits hôpitaux, c’est vers eux que les patients se tournent. Nous voulions mieux cerner leur situation et leur état d’esprit.
Télécharger le livre blanc : Soignants libéraux : préserver la vocation, combattre l’épuisement.
Doctolib et l’association SPS collaborent déjà avec ces soignants. Quel était le rôle de GEM ?
O.A. : D’abord, apporter une méthodologie d’enquête rigoureuse et des concepts (burnout, agressions, surcharge…) basés sur des références académiques. Ensuite, héberger les données, les anonymiser, les traiter et garantir leur confidentialité : les 1 550 participants s’exprimaient sur des sujets personnels sensibles. Enfin, le rôle de la chaire DOS est de faire de la recherche appliquée avec les acteurs de terrain et d’étudier – entre autres - les enjeux de la transformation du système de santé.
Les résultats les plus marquants ?
O.A. : La saturation et le stress des soignants libéraux. 63% se disent « usés » en fin de journée, 83% n’arrivent pas à préserver leur vie privée, 39% affichent des scores de burnout sévères liés à leur activité, 41% ont subi au moins une agression verbale ou des menaces ces deux dernières années… Sans parler du fardeau des tâches administratives, ou de leurs revenus qu’ils jugent insuffisants.
Pour autant, les soignants sont-ils démotivés ?
O.A. : Non, c’est le grand paradoxe de l’enquête. Malgré ces conditions de travail, 60% d’entre eux affirment que leur vocation reste intacte. Ils sont en souffrance, ils demandent à l’État de les aider, mais ils tiennent bon. Jusqu’à quand ? Si les patients ne voient plus que des médecins surmenés et en mauvaise santé, quel sera l’impact sur la relation thérapeutique, la qualité des soins, la crédibilité des messages de prévention ?
Autrement dit, la santé des soignants est un enjeu pour tout le monde ?
O.A. : Exactement. D’ailleurs, dans le livre blanc consacré à l’enquête, Doctolib et SPS prennent des engagements pour mieux les soutenir. Doctolib, par exemple, va former ses équipes de terrain à la détection précoce du burnout ; SPS va agir auprès du ministère de la Santé et des ARS pour que la santé des soignants soit reconnue comme une priorité de santé publique, etc.
Pourquoi les soignants eux-mêmes ne se sont-ils pas emparés du sujet plus tôt ?
O.A. : C’était un tabou. Il ne fallait pas entacher l’image de la profession, un soignant se « devait » à ses malades, on enseignait aux étudiants que ce métier est un sacerdoce… Aujourd’hui, la parole se libère, heureusement : il y a urgence.
La publication
Doctolib, Associations Soins aux Professionnels de la Santé (SPS), Grenoble Ecole de Management : "Soignants libéraux : préserver la vocation, combattre l’épuisement. Etat des lieux, témoignages, recommandations". Juillet 2025
Bio express
Olivier Arsène est enseignant-chercheur dans l’équipe de recherche « Systèmes d’Information pour la Société », co-directeur du master numérique et systèmes d’information 1A et co-titulaire de la chaire Digital Organizations and Society de Grenoble Ecole de Management. Ses recherches portent sur les effets des technologies numériques sur la pratique des professionnels de santé, leur bien-être au travail et la qualité des soins prodigués aux patients. Il s'intéresse également à la confiance dans les systèmes médiés par les technologies numériques ainsi que dans ces technologies elles-mêmes.
Les programmes GEM associés
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