Le livre blanc Consentement aux soins, un idéal inaccessible ? publié par la chaire "Public Trust in Health" de Grenoble Ecole de Management explore la liberté réelle du patient face aux soins. À travers des avis de médecins, juristes et sociologues, il questionne l’écart entre loi et pratiques, et met en lumière les enjeux éthiques du consentement médical aujourd’hui. Rencontre avec Charles Clemens Rüling, professeur à Grenoble Ecole de Management et coordinateur du livre blanc.
Le consentement aux soins tel qu’il est pratiqué aujourd’hui respecte-t-il la loi Kouchner de 2002 ? Le patient est-il réellement libre ? Son médecin cherche-t-il vraiment à l’éclairer ? Qu’en pensent les soignants, les juristes, les éditeurs d’outils de e-consentement, les sociologues, les anthropologues ? La chaire "Public Trust in Health" croise leurs regards dans un livre blanc qu’elle vient de publier.
Télécharger le livre blanc "Consentement aux soins, un idéal inaccessible" ?
Interview de Charles-Clemens Rüling, coordinateur du livre blanc.
Pourquoi ce libre blanc et qu’apprend-on en le lisant ?
Charles-Clemens Rüling : Nous avons voulu souligner avant tout l’écart entre loi et usages. Certes, aucun texte législatif n’est appliqué par tous dès le jour de sa publication ; il faut du temps pour que les pratiques sociales changent. Mais on parle ici de santé, de maladie, d’opérations lourdes, de choix pour soi-même ou pour un proche, de vie et de mort : les enjeux sont considérables.
Ce livre blanc éclairera le lecteur sur ce qui évolue et sur ce qui « résiste », sur les opinions et les comportements des protagonistes. Il ne prend pas position : il décode des jeux d’acteurs.
Il révèle aussi des paradoxes. Ainsi, 51% des participants à une enquête de 2022 disent mal connaître, voire pas du tout, leurs droits en matière de consentement. Mais ils sont 60% à considérer que les médecins respectent leurs obligations ! Autre paradoxe : il existe des patients qui ne veulent pas savoir, quoi que fasse leur médecin.
Le consentement est donc beaucoup plus qu’un problème d’application de la loi ?
CCR : Les enjeux juridiques sont réels. Chaque année, des médecins sont mis en cause pour défaut d’information, dans le cadre de procédures amiables ou judiciaires. Et depuis 1997, c’est à eux de prouver qu’ils ont informé leur patient. Ce qui soulève d’autres questions : qu’est-ce qu’une preuve valide aux yeux des tribunaux ?
Mais le consentement est aussi le reflet d’un rééquilibrage sociétal du rapport entre médecin et patient. En 1963, un patron de service hospitalier recommandait à ses internes de « mentir dans tous les cas ». Ce genre de propos est devenu inaudible. Dans certaines facultés de médecine, on apprend aux étudiants, via des mises en situation, à instaurer le lien de confiance indispensable à un vrai consentement.
Vous évoquez aussi l’arrivée des premiers outils de e-consentement. Pourquoi ?
CCR : Ces outils vont se développer rapidement. Ils offrent aux médecins de la traçabilité sur le processus de consentement et de la fluidité dans le suivi de chaque patient. Ces derniers disposeront de schémas, de vidéos, de supports interactifs, etc. ; c’est bien plus efficace en termes de compréhension qu’un texte qu’un signe sans le lire.
Mais il serait dangereux d’adopter ces outils les yeux fermés. Nous abordons les « pathologies du consentement », terme choisi par deux chercheurs américains pour expliquer qu’en ligne, le consentement se banalise : nous en donnons sans arrêt pour accéder à un site, créer un compte, remplir un formulaire.... L’acte se vide de sa substance, ce qu’il faut absolument éviter pour le consentement aux soins.
Pourquoi avoir élargi ce livre blanc à des chercheurs en sciences sociales ?
CCR : Ils apportent au sujet un autre éclairage que les soignants ou les juristes, à partir de longues immersions en milieu médical. Je pense à cette sociologue qui a observé dans plusieurs hôpitaux les effets du manque de temps des soignants sur la réalité et la consistance du consentement. Ou à cette anthropologue qui au fil de quatre ans de consultations en oncologie, a relevé que le médecin informait son patient en fonction du capital social et culturel qu’il lui prête. Il donne moins d’explications aux patients défavorisés qui de plus, osent moins poser de questions.
Le constat d’ensemble est donc pessimiste ?
CCR : Il est nuancé, avec des zones d’ombre et de lumière. Et j’espère qu’il suscitera de nouveaux débats.
Charles-Clemens Rüling économiste et sociologue, est est professeur en organisation et management à Grenoble Ecole de Management. Il a été responsable de la Chaire de recherche "Public Trust in Health" de Grenoble Ecole de Management de 2017 à 2024. Depuis 2024, les travaux de la chaire "Public Trust in Health" sont menés au sein de l'axe "Santé numérique et société" de la chaire "Digital Organizations and Society" de Grenoble Ecole de Management.
La "Chaire Digital Organizations and Society" a pour mission de produire et diffuser des connaissances scientifiques sur l’impact des technologies numériques sur l’individu, les organisations et sur notre société. L'axe Santé numérique et société étudie :
- L'impact des technologies numériques sur la santé
- L'amélioration du bien-être des professionnels et la qualité des interactions patient-soignant
- L'intégration des outils thérapeutiques pour transformer et personnaliser les soins de santé
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