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ACTUALITÉS GEM2025-03-24

GEMExpert - Transition numérique et écologique dans la construction : l’équation impossible ?

Twin Transitions

Temps de lecture : 8 min

Sur le papier, transition numérique et transition écologique sont censées se renforcer l’une l’autre pour accélérer l’innovation et la neutralité carbone. Mais dans l’industrie de la construction, ce scénario idéal semble bien éloigné de la réalité. C’est le constat de chercheuses de Grenoble Ecole de Management qui ont mené une étude qualitative dans huit sociétés françaises et allemandes.

Entretien avec Anne-Lorène Vernay, responsable de l’équipe de recherche « Management de l’Énergie et de l’Environnement » de Grenoble Ecole de Management (GEM) et Adélie Ranville, post-doctorante.

Anne Lorène VernayPourquoi avoir travaillé sur la construction, plutôt que sur d’autres secteurs d’activité ?

Anne-Lorène Vernay : L’industrie de la construction est peu digitalisée et émet beaucoup de carbone. Son évolution s’annonce délicate, mais à fort enjeu ; c’est un cas d’étude intéressant. Par ailleurs, nous voulions confronter à la réalité le discours dominant sur la twin transition, c’est-à-dire la transformation des organisations vers le zéro émission carbone, grâce notamment au numérique. Ce discours propose un narratif optimiste, illustré par des success-stories. Mais il passe sous silence les obstacles et les difficultés.

Votre recherche a-t-elle confirmé cet écart entre discours et terrain ?

Adélie Ranville : Absolument. Le digital n’a pas d’influence directe sur la manière de construire les bâtiments. Il est utilisé via des outils d’aide à la décision : quel est le matériau ou le type de conception le plus vertueux ? Si je modifie tel paramètre de mon bâtiment, combien ça coûte et comment évoluent mes émissions ? Mais il reste un outil et n’influence pas le choix des critères de décision, majoritairement guidés par la réglementation et les prix.

Observez-vous malgré tout une montée en puissance des outils numériques ?

ALV : Oui, pour répondre à des besoins ciblés ou faire de l’optimisation. Par exemple, la maquette numérique (building information modeling), est utile pour aider à écoconcevoir et éviter les erreurs dans la conception de bâtiments complexes. Les cimentiers recourent par ailleurs au machine learning pour contrôler rapidement la qualité du clinker, un composant du ciment. Mais il s’agit d’initiatives ponctuelles. Il n’y a pas de stratégie d’ensemble pour mobiliser les outils digitaux dans le but d’émettre moins de carbone.

Ranville_Adélie.jpgÀ quoi pourrait ressembler cette stratégie de double transition ?

Adélie Ranville : Elle suppose le partage de données fiables et pertinentes, entre tous les acteurs de la chaîne de valeur : promoteurs, architectes, bureaux d’études, cimentiers, entreprises de travaux… Ceci au sein d’une boucle d’information continue en six étapes interdépendantes (voir schéma ci-dessous) que nous avons formalisée. Et au-delà de ces moyens, il faut une volonté commune de transformer les organisations : les outils peuvent être mis au service de la transition écologique, mais ils ne la déclenchent pas à eux seuls.

Enfin, rappelons que le numérique ne fait pas de miracles. On ne vit pas dans le cloud, nous avons besoin de bâtiments réels. Et la production de béton ne sera jamais 100% digitale, on continuera à chauffer des cailloux à 1450 degrés pour le fabriquer.  


Vers une boucle d’information continue en six étapes

Twin Transitions

 

 

1.    Prendre des décisions éclairées, avec des objectifs précis d’amélioration qui intègrent l’impact environnemental.

2.    Agir dans le monde réel : par exemple, en confiant au numérique le pilotage de machines ou de robots, d’une manière qui réduise les émissions carbone.

3.    Collecter des données pertinentes en continu, via des capteurs et des instruments de mesure.

4.    Exploiter ces données pour en extraire des informations, en particulier sur les émissions carbone, et les partager avec les autres acteurs de la chaîne de valeur.

5.    Associer plusieurs sources d’information pour développer de nouvelles expertises en évaluation et prédiction des impacts environnementaux.

6.    Diffuser ces expertises auprès d’acteurs qui poursuivent les mêmes objectifs de soutenabilité.




 

La publication
Anne-Lorène Vernay et Adélie Ranville ont participé au projet de recherche "Productivity in transition – an international comparative analysis of the twin transition, its enablers, and productivity implications" hébergé par The Productivity Institute et financé par le Economic & Social Research Council au Royaume Uni.

 


Bio express
Anne-Lorène Vernay est professeure associée à Grenoble Ecole de Management et dirige l’équipe de recherche « Management de l’Energie et de l’Environnement (EEM) ». Sa recherche porte sur les stratégies des entreprises du secteur de l'énergie en réponse à la transition énergétique. Elle contribue également à la chaire Energy for Society.  

Adélie Ranville est post-doctorante au sein de l'équipe EEM et travaille sur la double transition numérique et écologique, dans le cadre d'un projet international financé par The Productivity Institute (UK). Elle s'intéresse par ailleurs aux modèles économiques et à la gouvernance des organisations alternatives. 
 

 

Les programmes GEM sur les transitions

innovation

▶ Msc Management for Sustainability Transitions

▶ MS Management technologique et Innovation responsable

 

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  • Transformation numérique

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