30% d’ordures ménagères en moins : c’est ce qu’on observe dans les métropoles où la tarification incitative (c’est-à-dire au volume) remplace la taxation forfaitaire. Pourtant, la France est très en retard dans le déploiement de cette solution. Trois chercheurs de Grenoble Ecole de Management ont comparé différentes stratégies de communication visant à convaincre le grand public.
Interview de Corinne Faure, professeure de marketing à Grenoble Ecole de Management (GEM), et Lesman Ghazaryan, doctorant
La France est-elle réellement en retard dans le déploiement de la tarification au volume ?
Corinne Faure : Elle ne parvient pas à tenir les objectifs qu’elle s’est fixés. Ce système devait s’appliquer à 25 millions de Français en 2025, or nous sommes à moins de 7 millions. Ce qui nous classe loin derrière des pays européens comme l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse ou dans une moindre mesure, la Belgique et les Pays-Bas.
Lesman Ghazaryan : Certaines métropoles l’ont implantée ou testée, par exemple Strasbourg et Lunéville, mais d’autres l’évoquent sans concrétiser. De plus, certaines objections sont très présentes, comme le risque de « tourisme des déchets » : si on paie individuellement et au volume, les gens pourraient jeter leurs ordures dans la nature ou dans la poubelle du voisin.
Comment avez-vous procédé pour comparer les stratégies de communication ?
C.F. : Nous avons enquêté auprès de 620 membres du panel de recherche du territoire grenoblois, à une période où le passage à la tarification au volume était annoncé sous un à deux ans. Ainsi, tout l’échantillon était dans la même situation initiale.
Lesman Ghazaryan : Nous avons réparti cette population dans trois groupes. Le premier a reçu un simple descriptif technique du nouveau système. Pour le second, nous avons ajouté un message centré sur les vertus de ce système pour l’environnement. Pour le troisième, un message centré sur l’équité : je suis taxé en fonction des déchets que je produis, ceux qui polluent davantage payent plus.
Quel message a suscité l’adhésion la plus forte ?
L.G : Par rapport à la présentation « sèche », le fait d’utiliser un message fait augmenter le taux d’acceptabilité de la tarification incitative. Autrement dit, celle-ci ne va pas de soi, ne s’impose pas d’elle-même : il faut la justifier.
Entre les deux messages, le message équité entraîne une augmentation marquée du taux d’acceptabilité, alors que le message environnement n’a pas d’effet statistique en soi. L’argument de la tarification pollueur/payeur convainc donc bien plus que les bénéfices du système pour la planète : moins de déchets, et un tri sélectif de meilleure qualité.
Quels conseils donner aux collectivités qui veulent adopter la tarification incitative ?
C.F. : Notre travail portait sur un échantillon restreint et visait simplement à comparer des messages. Mais j’en retiens deux enseignements. D’abord, les efforts de communication et de pédagogie s’imposent pour « vendre » ce système. On ne peut pas en faire l’économie. Ensuite, il faut décliner les messages en fonction des groupes sociodémographiques. Par exemple, le message équité a une efficacité maximale auprès de publics jeunes, à haut niveau d’études et de revenus. Pour affiner et étoffer ce ciblage, d’autres recherches seront nécessaires.
La publication
Lesman Ghazaryan, Corinne Faure, Joachim Schleich, Mia M. Birau, “Transition from a fixed fee to a pay-as-you-throw waste tariff scheme: Effectiveness of environmental and accountability appeals”, Journal of Environmental Management, Volume 385, 2025
Rubrique – Bio express
Corinne Faure est professeure dans l’équipe de recherche « Comportement du Consommateur » de Grenoble Ecole de Management. Ses recherches portent sur les comportements éco-responsables et l'acceptabilité de politiques ou technologies sur l'efficacité énergétique.
Lesman Ghazaryan est étudiant PhD dans l’équipe de recherche « Marketing Stratégique et Innovation » de Grenoble Ecole de Management. Ses recherches portent sur la stratégie marketing et l’innovation, avec un intérêt particulier pour la construction d’écosystèmes de données adaptés, permettant de fournir des informations opérationnelles aux décideurs marketing et de nourrir des recommandations politiques à fort impact.
Joachim Schleich est professeur et chercheur dans l’équipe « Management de l’énergie et de l'environnement » de Grenoble Ecole de Management. Ses recherches portent sur les domaines de l'énergie, de la politique climatique et de l'innovation. Il est également membre de la chaire Energy for Society, qui étudie la transition énergétique et l’adhésion sociale aux énergies renouvelables.
Les programmes GEM associés
▶ MSc Energy Business & Climate Strategy
▶ Programme Grande Ecole – PGE
- Comportement du consommateur
- Transition écologique
- Transition énergétique
- GEM Research