
Les médias sociaux offrent un nouvel espace de débats, ouvert aux dissensions et à la critique individuelle. Comment les organisations peuvent-elles s’en saisir et composer avec ces nouvelles règles du jeu, en impulsant une dynamique critique favorable à l’entreprise sur les réseaux sociaux ?
C’est l’objet d’une récente recherche académique, conduite par Marcos Barros, professeur associé au département Homme, Organisations et Société de Grenoble Ecole de Management et Valérie Michaud de l’Université du Québec à Montréal, au Canada.
« Notre recherche a porté sur la question du discours sur les média sociaux. Plus précisément, l’objet de l’étude a consisté à savoir comment développer de nouveaux espaces de débats démocratiques sur les réseaux sociaux, » souligne en préambule Marcos Barros, professeur associé à GEM.
Cette étude, publiée en 2019 dans la revue Organization, a en effet exploré comment les membres de l’une des plus grandes coopératives de consommation du Canada ont réagi face à ce qu’ils considèrent comme une attaque contre les principes démocratiques de la coopérative. Les consommateurs ont ainsi utilisé les médias sociaux pour tenter de résister à la tentative du conseil d’administration de changer les règles de gouvernance coopérative. Au-delà, cette analyse montre l’enjeu pour les entreprises d’un déplacement stratégique vers de nouveaux espaces de débats alternatifs.
Mass media versus social media
Avant l’avènement des réseaux sociaux, il existait un contrôle du discours narratif porté par les médias traditionnels. Les « mass media » permettaient de façonner un discours dominant, sans grande possibilité de controverse, ou presque.
« Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, il est plus difficile pour les instances dirigeantes/les directions d’entreprises, d’exercer un contrôle sur le discours des individus. Le discours externe peut affecter l’organisation, car il devient totalement hors de contrôle, » note Marcos Barros.
Première recommandation
Le premier enjeu pour les organisations est de savoir comment « formater » un message sur des sujets sensibles, comme l’identité ethnique, sexuelle… afin de minimiser les détournements potentiels du discours de l’entreprise sur les réseaux sociaux. « Une solution, assez simple, est de diffuser un message-test auprès d’individus qui portent cette sensibilité – des collaborateurs ou des clients de l’entreprise – de façon à tester la communication avant de la diffuser à grande échelle auprès du public. »
Reconnaître le besoin d’expression
Le discours public était précédemment fondé sur le débat d’idées. Désormais, sur les médias sociaux, chacun veut s’exprimer et être écouté, ce qui aboutit à une cacophonie d’opinions individuelles. Cette nouvelle configuration aboutit à un changement de fond dans les échanges interpersonnels sur les espaces virtuels.
Seconde recommandation
« Il est essentiel de reconnaître le besoin d’expression du public. La possibilité d’exprimer sa voix et, idéalement, d’être écouté devient une valeur centrale. Il est donc important que le public perçoive que ses propos ne sont pas censurés ou ignorés. Les tentatives de censure ou de dévalorisation de l’expression des clients peuvent être extrêmement préjudiciables à l’image de l’organisation. »
Sortir de l’illusion du contrôle
« Il faut sortir de l’illusion de vouloir contrôler le discours à l’intérieur même de l’organisation. Il devient indispensable de travailler sur sa propre identité pour une mise en cohérence. L’exemple de la police de New York est significatif : son slogan « J’aime la police de New York » a été détourné, en étant associé à des visuels illustrant la police newyorkaise violentant la communauté noire, » souligne Marcos Barros.
Troisième recommandation
Il est nécessaire d’amener les individus, attachés à l’organisations ou pas, à s’exprimer en interne plutôt qu’à l’externe, en créant des espaces de débat et de délibération, au risque de perdre le contrôle de la situation, via les discours véhiculés sur les réseaux sociaux.
« L’objectif est de garantir à l’interne une dynamique de discussion plus favorable – en tout cas la moins nuisible possible à l’entreprise. Ceci, afin de mieux maîtriser le discours externe sur les médias sociaux. Dans le domaine syndical, par exemple, il existe un effort soutenu visant à augmenter la participation des membres à travers des espaces virtuels, dédiés au débat et à la consultation sur des décisions majeures. En dépit de résultats nuancés, l’existence, la compréhension et la maîtrise des supports de communication virtuels, est essentiel à leur survie. Cet exemple s’applique à toutes les organisations, » conclut Marcos Barros.