
Taux de mortalité, espérance de vie, densité de médecins sur un territoire… Ces indicateurs suffisent-ils pour piloter une politique de santé publique ? Ou faut-il en créer d’autres pour mieux appréhender le bien-être d’une population ?
Interview de Fiona Ottaviani, professeur associée à GEM
Vouloir cerner le « bien-être » d’une population, est-ce utile ou seulement idéaliste ?
Fiona Ottaviani : C’est un sujet débattu depuis des années en France et dans le reste du monde. L’OCDE a inventé le Better Life Index, le Programme des Nations-Unies pour le développement a créé l’Indice de développement humain (IDH), le Bouthan mesure le Bonheur national brut… Il y a aussi des expérimentations locales, par exemple en France dans le Nord- Pas-de-Calais, les Pays de la Loire et à Grenoble.
Partout, l’objectif est le même : disposer d’indicateurs différents pour définir les politiques publiques, notamment en santé, et mieux appréhender le bien vivre des habitants.
Que reproche-t-on aux indicateurs existants ?
Ils reflètent principalement une logique de course à la performance, notamment économique. Exemples : on présuppose que la qualité de vie augmente avec le PIB, ou qu’une espérance de vie accrue après un cancer est forcément un progrès pour les malades. Or, la hausse du PIB peut venir d’un essor des industries polluantes ; et pour les patients touchés par le cancer, la qualité de vie des années de rémission peut primer sur leur durée. Ces dimensions essentielles restent donc ignorées.
Prenons l’exemple d’IBEST, l’expérimentation grenobloise. Que mesure-t-elle ?
Son cadre dépasse le seul secteur de la santé : elle cherche à évaluer le « bien-être soutenable ». Autrement dit, la capacité de chacun à se réaliser, à répondre à ses aspirations, dans le respect du bien commun et de la soutenabilité. Nos indicateurs portent par exemple sur le temps et les rythmes de vie, la démocratie et le vivre ensemble, l’accès aux services publics, l’engagement solidaire, et bien sûr sur la santé.
De plus, nous avons travaillé avec des groupes d’habitants pour déterminer ces indicateurs et leur « juste » niveau : où commence le bien-être, jusqu’à quel seuil est-il soutenable, etc.
Pour les indicateurs de santé, comment recueillez-vous les informations ?
Ce sont les répondants qui donnent leurs perceptions. On sait aujourd’hui qu’il y a une bonne corrélation entre les auto-déclarations et les données physiologiques : quand une personne se dit en bonne santé, l’examen médical arrive le plus souvent à la même conclusion. D’ailleurs, le groupe de travail sur la « qualité de vie » créé par le Haut conseil de la santé publique promeut ce type d’indicateurs ; j’y ai participé pendant deux ans.
Que vous a appris IBEST en matière de santé publique ?
Comme le rappelle l’OMS, la santé est très liée au bien-être et inversement. Tout se tient. Si je ne suis pas malade, mais que j’éprouve un sentiment d’isolement social, mon bien-être peut être dégradé. Même chose si mon quotidien est stressant, ou que je ne maîtrise plus la gestion de mon temps, ou que je vis mal le fait de vivre dans un environnement pollué.
Par ailleurs, certains postulats sont remis en cause, par exemple les raisons du non-recours aux soins. Sur la métropole grenobloise, ce n’est pas dans les territoires qui ont beaucoup de bénéficiaires de la CMU-C que les gens malades ont le moins accès aux soins. Ce non accès au soin n’est pas associé non plus à une densité plus faible de médecins. Les acteurs de santé publique doivent activer d’autres leviers pour que toutes les catégories de population soient mieux suivies.
Cet ajout de nouveaux indicateurs ne risque-t-il pas de compliquer la donne ?
Au contraire, il va nous éclairer sur nos territoires, notamment les quartiers défavorisés. Aujourd’hui, on les scrute principalement avec des indicateurs « à charge » : taux de chômage, de délinquance, de bénéficiaires du RSA… Rien ne permet de repérer ce qui est réalisé pour recréer du lien social, développer l’entraide, inciter à la prévention en santé. Avec ces indicateurs alternatifs, des aspects déterminants pour le bien-être deviendront visibles et pourront inspirer les décideurs.
Le cycle d’interviews de la chaire Public Trust in Health
La chaire Public Trust in Health réalise un cycle d’interviews sur des sujets variés en lien avec les expertises de Grenoble Ecole de Management en santé. Tous les mois un chercheur échange avec un journaliste professionnel autour de riches thématiques telles que les partenariats intersectoriels en santé, le consentement libre et éclairé, la esanté, les objets de santé connectés, etc.
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A propos de la chaire Public Trust in Health
Les recherches menées au sein de la chaire Public Trust in Health ont pour objectifs de mieux comprendre les nouvelles solutions technologiques, les relations patients-professionnels et les écosystèmes de soins et d’innovation dans les territoires. Les travaux de la chaire s’articulent autour des 3 axes suivants :
- Repenser la place des patients au sein du système de santé ;
- Explorer les enjeux entre confiance, technologie et santé ;
- Développer les écosystèmes de santé.