
Produits durables, écologiques, politiques de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), tous ces concepts sont généralement considérés comme une valeur ajoutée pour les entreprises. Pourtant, des recherches récentes mettent au jour un point clé : ces initiatives positives peuvent avoir des effets contre-productifs sur la perception de la qualité des produits par les consommateurs. Comment une entreprise doit-elle adapter son marketing ?
La recherche
Sumitro Banerjee and Robert Mai sont professeurs associés en marketing, à Grenoble Ecole de Management. Sumitro Banerjee témoigne des résultats de sa recherche portant sur les facteurs qui motivent une entreprise à investir dans une politique de développement durable, au regard de la qualité des produits. La recherche de Robert Mai explore quant à elle la perception des produits durables par les consommateurs. Et notamment, la perception implicite d’une moindre qualité associée à un produit durable.
Politique RSE : marché grand public contre qualité
« Il est généralement admis qu’une politique RSE est une bonne idée. Et nombre d’études prouvent qu’une politique de développement durable conduit à un gain de valeur ajoutée pour les entreprises. Toutefois, des questions subsistent : « Pourquoi la qualité d’un produit serait-elle plus forte du fait d’une politique RSE ? Et quel devrait être le niveau d’investissement d’une entreprise ? » questionne Sumitro Banerjee.
La qualité d’un produit est un bon indicateur du niveau de R&D et d’investissement. Aussi, Sumitro Banerjee a cherché à savoir quel est le retour sur investissement d’une politique RSE. « La réponse est qu’il est plus intéressant pour une entreprise qui produit des produits de qualité de continuer d’investir dans la qualité, alors que les entreprises positionnées sur le marché grand public ont tout intérêt à investir dans une politique RSE. »
Deux facteurs sous-tendent cette analyse. Tout d’abord, une politique de développement durable est, au final, payée par les consommateurs et par l’entreprise. Les entreprises qui génèrent une production de faible qualité, visant une consommation de masse, ont toutes les raisons économiques d’investir dans une politique RSE, simplement parce que les coûts et les avantages inhérents à une telle politique sont supportés par les consommateurs. Sumitro Banerjee explique ensuite que les consommateurs de produits haut de gamme considèrent qu’une politique de développement durable génère des coûts supplémentaires ; des coûts qui obligeraient une entreprise à sacrifier la qualité.
Produits durables : une image intrinsèquement négative
Robert Mai s’est par ailleurs intéressé à la perception des consommateurs, en particulier à la perception implicite et explicite des produits durables : « En termes de santé et de développement durable, les consommateurs prennent généralement des décisions irrationnelles. Ainsi, si on les interroge sur leur perception de ces sujets, ils auront tendance à préférer la santé et la durabilité des produits. Mais dans les faits, ils choisiront au final l’opposé ! »
L’une des études réalisées par Robert Mai a été conduite au sein d’un établissement hospitalier, où deux types de savons pour les mains ont été fournis. « Nous voulions comprendre dans quelle mesure les choix d’utilisation changeraient, si les individus étaient observés par les chercheurs de manière visible ou cachée. Ainsi, les personnes qui étaient ouvertement observées par les chercheurs tendaient à choisir le savon durable 30 % en plus que celles qui étaient observées de manière cachée.
Conclusion : les attentes sociales jouent un rôle essentiel dans nos prises de décision. Au même titre que l’étude de Sumitro Banerjee sur la RSE, nos recherches attestent que la perception implicitement négative des utilisateurs à l’égard des produits durables est particulièrement importante lorsque la qualité est intrinsèque au produit. Par exemple, les utilisateurs du savon d’un hôpital s'attendent à ce qu'il soit efficace et de qualité.
Robert Mai poursuit : « Notre recherche souligne le fait que la population générale conserve une idée tenace selon laquelle les produits durables pourraient être moins fiables, moins savoureux ou moins efficaces. Cette conviction induit des conséquences importantes sur une politique marketing puisque, spontanément, nous aurions tendance à mettre en avant l'aspect durable d'un produit. Pourtant, nos recherches illustrent que cette approche peut être contre-productive, en particulier sur le marché grand public. »
De l’importance de comprendre son marché
Les résultats produits par les deux chercheurs soulignent l’importance pour les entreprises de bien appréhender leur marché en termes de politique RSE et de développement durable. Sumitro Banerjee suggère : « En ce qui concerne les investissements dans la RSE, les dirigeants doivent avant tout évaluer la perception qu’ont les consommateurs de leur politique RSE et de la qualité des produits. En particulier, il faut tenir compte du fait que vous couvrez un large segment ou une niche de marché. Pour les segments de marché étroits, il est préférable d’investir dans la qualité et la R&D. Mais pour les produits de grande consommation, la priorité pourrait être d’investir dans la RSE, plutôt que dans l’accroissement de la qualité des produits, ou la R&D. »
Il est intéressant d’observer qu’une politique de développement durable partage un sort commun : “Lorsque que vous souhaitez faire du marketing pour un produit durable, il est essentiel de garder en tête que bien que cette option peut être intéressante pour certains consommateurs, ce n’est pas le cas pour une grande partie d’entre eux. En fait, il y a toutes les chances que vous génériez des perceptions négatives, » ajoute Robert Mai. En conclusion, le chercheur suggère aux spécialistes du marketing de jouer sur les variables du packaging, les certifications qualité et sur les canaux de distribution, afin de contrecarrer les perceptions négatives par les consommateurs des produits durables.
« Par exemple, les slogans publicitaires qui insistent sur le lien entre le développement durable et la qualité peuvent aider à lever des freins liés à une perception négative. Les entreprises peuvent aussi explorer le design du packaging pour renforcer l’idée de fiabilité, à travers des couleurs denses et sombres, ou choisir des matériaux de packaging plus solides. »
L’essentiel à retenir est que ces initiatives, a priori positives, telles que le lancement d’une politique RSE et de produits durables, peuvent être contre productives en termes de marketing. Chaque entreprise doit donc trouver son point d’équilibre, afin d’atteindre son objectif sur son marché de prédilection.