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Ethique et coaching en entreprise : les liaisons dangereuses ?

Ethique et coaching en entreprise : les liaisons dangereuses ?
Publié le
14 Février 2023

Entre Guignol et Zorro, le coach en entreprise endosse parfois des costumes inattendus. Devant l’essor de ce phénomène du coaching qui reste nébuleux, peut-on définir les contours d’une intervention éthique ? Quels sont les risques et dérives, et comment les contenir ?

Entretien avec Pauline Fatien, professeure associée au département Hommes, organisations et société à Grenoble Ecole de Management. Elle est la co-auteure de recherches et de publications scientifiques, centrées sur les questions de pouvoir et d’éthiques du coaching en entreprise.

L’étymologie du mot « coaching » provient d’un terme hongrois, qui désigne un carrosse. A l’instar du logo de la marque Hermès, le carrosse véhicule une image de prestige, dites-vous. Qu’est-ce-que cela induit, selon vous ?

Associé au XVè siècle au carosse qui transporte le roi de Hongrie, le coaching dès le départ apparait comme un outil alternatif, un véhicule des puissants, quand la masse est à pied. C’est donc un instrument qui se veut différent, moderne et élististe. Le coaching n’est ni du conseil, ni de la formation, encore moins de la thérapie. Aujourd’hui en entreprise, le coaching est cet « autre » réservé aux personnes « responsables ». Il évoque aussi le sur-mesure, puisque c’est un accompagnement customisé de déplacement ou de changement : c’est un véhicule spécifique pour rejoindre un lieu choisi.

Cet héritage instrumental associe le coaching à la neutralité. En tout cas, c’est le discours dominant chez les praticiens. Toutefois, aucun instrument n’est neutre : le langage, les modèles d’organisations et de management portent en eux une idéologie. Ainsi, l’attraction et l’intérêt des dirigeants et DRH pour le coaching vient en partie de cette pratique qui apparait a-politique, comme un objet technique au service de la performance.

Quelle est donc la posture défendue par le coach en entreprise ?

L’idéologie portée par le coach est celle du « manager de l’âme » comme le souligne Valérie Brunel, psychosociologue, intervenante en organisation : le coaché dispose de ressources enfouies, qui ne demandent qu’à émerger grâce au coach. Le principal risque dans cette vision est d’individualiser les problèmes. Ainsi, plutôt que d’opter pour une approche globale et systémique des problématiques de l’organisation et de management, avec le coaching, on se focalise sur un individu. Cette attitude s’apparente à celle d’un dirigeant d’entreprise qui, pour solutionner les problèmes de stress au travail, met à la disposition de ses collaborateurs une salle de sport.

En prolongement, il existe le travers de psychologisation : avec le coaching, on fait le diagnostic que la personne coachée est psycho-rigide, dédouanant ainsi le système. Aussi, une problématique qui devrait être traitée sous un angle structurel, le sera de nouveau sous un angle individuel (le problème t’appartient.) C’est là que des lectures complexes comme celles proposées dans les coachings inspirés de la sociologie clinique, sont utiles. Elles offrent une lecture plurielle des situations, en intégrant le coaching dans un système complexe, non réductible à une solution au niveau de la personne.

Comment définissez-vous une attitude et un comportement éthique en matière de coaching d’entreprise ?

L’éthique en coaching est avant tout une question de responsabilité et de place prise dans un système. En fait, le coach intervient souvent quand un système dysfonctionne. Il doit alors réflechir aux rôles qu’on veut lui faire jouer dans ce déséquilibre. Et sur la manière dont il va rétablir l’équilibre. En améliorant l’estime de soi d’un collaborateur ? En lui permettant de gagner en réflexivité ? En appréhendant les tensions et contradictions en présence ? Avec mon collègue Fabien Moreau, nous travaillons aujourd’hui autour de la notion de coaching durable. C’est, selon nous, l’approche d’une pratique éthique. Il s’agit pour le coach d’être en mesure de servir le système par un diagnostic dialectique, au-delà des rustines comportementales évoquées. Cela requiert de la part du coach une capacité à prendre en compte les contradictions en présence, afin de les traiter et d’éviter leur répétition. La durabilité repose sur la non répétition de ce qui fait symptôme dans les organisations, en traitant les problèmes à la racine. Cela permet de trouver un chemin de médiation des contradictions. 

Selon votre recherche, quels sont les principaux risques de dérives qui menacent l’éthique des coachs en entreprise ?

Notre recherche sur le sujet a mis en exergue cinq « figures » illustrant les dérives du coaching .

La première est celle de Guignol. Elle fait référence au coach marionnette, qui est utilisé par l’organisation pour accomplir des actions que les « responsables » ne se voient pas faire : sur le coach sont externalisées des missions de manager direct ou HR. Parfois même, la présence de coach sert à détourner l’attention. On parle alors de « coach pansement ». En se focalisant sur quelque chose (ou sur quelqu’un), on ne voit pas les problématiques alentours.

La seconde figure est celle du traitre : ici, le but est de servir la direction, plus que la personne coachée. Et parfois, pour un objectif caché : celui de préparer le coaché à quitter l’entreprise…

La troisième figure du collaborateur pointe l’inclinaison à se compromettre dans ses valeurs. Ainsi, la question se pose pour un coach d’obédience écologiste, qui est amené à travailler pour l’industrie nucléaire, chimique, etc. Ces questionnements deviennent de plus en plus prégnants aujourd’hui.

Le contortionniste, quant à lui, doit produire des efforts continus pour s’adapter aux évolutions des organisations, de plus en plus volatiles, au grès des changements de postes et des mutations. Directement ou indirectement, il y aura des répercussions sur les missions de coaching : changement de management, de service, évolution des attentes etc. 

Zorro est la cinquième figure identifiée lors de notre étude : le sauveur, qui prend le parti de son client. Le coach perçoit des dysfonctionnements, et se demande jusqu’où doit aller son devoir d’alerte.

Que peut-on légitimement attendre (et ne pas attendre) d’un coach

Quelles recommandations formuleriez-vous aux DRH qui font appel à des coachs ?

La DRH doit, en première intention, réaliser un diagnostic de la situation avec une lecture plurielle et multi-niveaux des problématiques de l’organisation, du travail et du management. L’idée est de ne pas utiliser le coach comme une solution miracle. L’enjeu est de ne pas traiter uniquement les symptômes, mais d’aborder les problèmes dans leur complexité, en reconnaissant le système contraint dans lequel le coaching prend place.

La seconde préconisation est que la démarche de coaching s’inscrive dans une culture d’accompagnement. On revient à l’idée de durabilité : le coaching ne peut être un pansement. Il doit s’inscrire dans une démarche où c’est toute l’organisation qui est apprenante.

Ainsi, la principale question à se poser est : « Que peut-on légitimement attendre (et ne pas attendre) d’un coach » ? Le coach doit être un partenaire de la DRH dans une politique d’accompagnement durable. Il doit être tout à la fois au service des individus et de l’organisation, en ayant conscience de ses limites. A l’heure actuelle, il manque cruellement de formation à l’achat dans le domaine du coaching – une problématique souvent réduite à des questions techniques ou financières !

En conclusion, le coach est-il au service des individus ou de l’organisation/la direction ?

Cette question est en effet cruciale, et fait tout l’intérêt du coaching, et de son étude ! On investit dans le coaching justement du fait de sa promesse de l’alignement ou de la réconciliation des individus et des organisations. Mais quand il y a plusieurs « maîtres à servir », dont le coach lui-même, puisque l’on travaille d’abord à partir de soi, les enjeux éthiques sont une question inépuisable.

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