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Dialogue social dans l’entreprise : l’impact du CSE

Dialogue social dans l’entreprise : l’impact du CSE
Publié le
11 Avril 2022

Une recherche pluridisciplinaire, menée pour France Stratégie, a analysé les effets de la mise en place des Comités sociaux et économiques (CSE) sur le dialogue social dans sept grandes entreprises françaises. Cette étude d’envergure pointe les limites de la centralisation et de la fusion des instances de représentation du personnel au sein du CSE. Analyse.

Heather Connolly est enseignante-chercheure à Grenoble Ecole de Management, et co-auteure de cette recherche.

Quels étaient les objectifs des ordonnances du 22 septembre 2017, relatives au dialogue social dans les entreprises ?

En 2017, le Président Macron a fait passer cette réforme ambitieuse par ordonnances – la plus importante depuis la loi Auroux de 1982, qui introduisait l'obligation d'un règlement intérieur dans les entreprises et le droit d'expression directe et collective sur le contenu et l'organisation du travail. Ces ordonnances sont allées plus loin que la loi El Khomri de 2016.

Cette réforme visait à renforcer le dialogue social dans les entreprises en centralisant et fusionnant les instances de représentation du personnel, à savoir les comités d'entreprise, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et les délégués du personnel. Les CSE constituent donc aujourd'hui les nouvelles instances de représentation du personnel que se devaient de mettre en place les entreprises françaises entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2019.

Comment cette réforme a-t-elle été accueillie ?

Les syndicats se sont montrés très hostiles à la réforme, considérant qu'elle aboutirait à un affaiblissement de leur rôle via la fusion de certaines instances représentatives. Dans les  faits, les syndicats déplorent une perte d'autonomie, à laquelle s'ajoutent moins de temps libre pour préparer les réunions, moins de budget et moins de temps d'échanges avec la direction.
Pour le gouvernement, cette réforme était régie par un principe gagnant/gagnant visant à générer plus de liberté pour les entreprises et plus de sécurité pour les salariés. Les résultats de notre étude démontrent que la réforme a induit de nouvelles problématiques pour les directions et pour les syndicats.

Quelles ont été les modalités de réalisation de votre étude ?

L'étude qualitative a été conduite durant 18 mois, en 2020 et 2021, auprès des représentants du personnel et des instances de gouvernance de sept grandes entreprises françaises des secteurs de la distribution, de l'énergie, la finance et du secteur pharmaceutique. Plus de 150 entretiens qualitatifs ont été réalisés pour la plupart en personne, début 2020, puis en visioconférence lors des périodes de confinement, avec les directions, les représentants du personnel, les DRH, les directions des relations sociales… dans les sièges sociaux et localement. A cela s'ajoutent des entretiens avec les différentes commissions des CSE : commissions hommes/femmes ; sécurité ; santé… et avec les syndicats portant une pluralité de voix et d'opinions. Ces entretiens ont été reconduits tous les trois à six mois autour de thèmes récurrents, auprès des mêmes personnes, afin de suivre l'évolution de la mise en place des CSE. Parmi les thèmes évoqués, citons la façon dont les négociations se sont déroulées sur les accords CSE ; la parité hommes/femmes lors des élections ; les moyens financiers déployés ; les relations au niveau central et local ; les liens entre le CSE et les négociations collectives dans l'entreprise, le cumul des mandats des élus au CSE…

Quelles sont les principales conclusions du rapport remis en 2021 à France stratégie ?

Ce type de réforme ne saurait produire de nouveaux fonctionnements et comportements stabilisés du jour au lendemain. Pour autant, nos conclusions relèvent trois problématiques principales.

La centralisation, tout d'abord, qui devait aboutir à la simplification du dialogue social. Les directions d'entreprises y voyaient un espoir de simplification, alors que les syndicats y perçoivent un asséchement du dialogue social. En effet, certaines directions souhaitaient rompre avec les structures représentatives, jugées trop lourdes et bloquant les décisions.

Pour les syndicats, le CSE témoigne d'une moindre capacité à traiter les problématiques individuelles, qui sont aujourd'hui traitées de façon directe et plus informelle avec les responsables hiérarchiques – ou non traitées, ou bien encore, traitées durant les réunions du CSE déjà bien remplies.
La réforme prévoit en effet l'instauration, sans obligation, de « représentants de proximité », négociée pour chaque entreprise, ne détenant aucun statut juridique. D'où une centralisation sélective. L'objectif de simplification est donc irréalisé. En effet, en dépit de l'existence d'une seule instance représentative, le dialogue social n'est pas plus efficace, car plus de monde interagit au sein des CSE et les différentes commissions demandent plus de temps de préparation préalable aux réunions plénières.

La question de l'intégration est la troisième thématique relevée. Les directions continuent de penser que le pluralisme syndical est un obstacle au dialogue social. Les syndicats, quant à eux, ont du mal à s'adapter et ont des difficultés à trouver un équilibre plus équitable sur le contenu et sur la forme des revendications. L'étude a constaté une certaine résistance au changement ; le sentiment de perte de lien avec les salariés, d'où découle le sentiment de perte du rôle de instances représentatives.

L'alternative que nous préconisons serait donc de rendre obligatoire les représentants de proximité dans chaque entreprise, ou de revenir aux instances représentatives précédentes. En d'autres termes, l'ambition initiale du CSE, qui visait à renforcer le dialogue social dans l'entreprise, n'est pas encore atteinte. Alors que le renforcement du dialogue social est aussi dans l'intérêt des entreprises.

Très concrètement, il est dans l'intérêt des entreprises de ne pas laisser sans suite les problèmes individuels des salariés, qui ne se sentent peut-être pas à l'aise pour parler à leur responsable direct, et qui souhaitent une représentation indépendante, assortie d'un procès-verbal. Car les problèmes irrésolus peuvent entraîner des difficultés pour le salarié comme pour l'entreprise.

*L'équipe de recherche pluridisciplinaire : Rémi Bourguignon, Université Paris Est Créteil / IRG (coordination scientifique) Pauline de Becdelièvre, ENS Paris-Saclay / IDHES Élodie Béthoux, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines / Printemps Heather Connolly, Grenoble Ecole de Management Arnaud Mias, Université Paris Dauphine / IRISSO Paul Tainturier, IAE Paris Sorbonne / GREGOR.
Ce rapport a été cofinancé par France Stratégie dans le cadre d'un appel à projets de recherche réalisé pour le comité d'évaluation des ordonnances.

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