
La semaine dernière, Grenoble Ecole de Management proposait le point de vue de 12 experts sur 12 évolutions du monde engendrées par l’épidémie du Covid-19 dans les domaines de l’enseignement supérieur, de la technologie, de l’environnement… L’Ecole grenobloise a décidé de proposer un rendez-vous hebdomadaire pour décrypter l’impact de l’épidémie sur le monde. Cette semaine, 6 experts transmettent leurs analyses et questionnements en matière d’économie (locale, nationale, internationale) et de formation (formation continue, employabilité).
1/ COVID-19 : la nécessaire fin des politiques économiques néolibérales.
« Les politiques néolibérales mises en œuvre depuis 40 ans en France et en Europe ne sont bien sûr pas responsables de la crise sanitaire mondiale, même si elles sont en partie responsables de sa gravité sur notre continent. Elles sont en revanche à la racine de la grave crise économique qui vient. La crise du COVID-19 fait voler en éclat le fantasme d'une économie sans usine, d'un libre-échange bénéfique à tous, d'une finance dérégulée, d'un État peu interventionniste. Ce que démontre sans ambiguïté aucune cette crise, c'est que sans industrie, sans production de biens publics comme la santé, sans protection des activités vitales du pays, sans stocks suffisants, sans organisation cohérente de la production nationale, sans coopération internationale et sans anticipation, aucun pays ne peut faire face à ce type d'évènement. Ce qu'elle démontre aussi, c'est que les moyens financiers existent dès lors que les enjeux vitaux du pays sont en jeu. Il faudra s'en rappeler lorsqu'enfin nous débuterons, après cette crise, l'immense chantier du siècle : celui de la transition écologique ! »
Gregory Vanel, expert en économie internationale à Grenoble Ecole de Management
2/ Quand la solidarité prend la forme d'un soutien aux écosystèmes économiques : la salutaire prise de conscience des grandes entreprises
« Si l'urgence est, actuellement, avant tout sanitaire, et si de nombreuses organisations apportent de précieuses et originales contributions sur ce terrain (réorientation de la production vers les équipements faisant défaut, comme les masques, fourniture de matière première,…), les difficultés économiques se multiplient pour des organisations, petites ou grandes, chaque jour plus nombreuses. En temps de crise, la résilience des écosystèmes économiques repose sur la capacité des entreprises en meilleure santé à accompagner leurs partenaires en difficultés, clients ou fournisseurs, voire concurrents, vis-à-vis desquels les relations ne sauraient se limiter à la seule compétition (comme en attestent par exemple les formes de coopétition qui se multiplient). Facilités de paiement, livraisons priorisées, partage de capacités de production…, sont autant de pratiques relevant de la paix économique aux effets bénéfiques pour tous, dont l'urgence de la situation plaide pour un développement rapide et qui pourront perdurer bien au-delà de la crise actuelle. »
Hugues Poissonnier, expert en stratégie et achats à Grenoble Ecole de Management
3/ Qui remboursera les politiques de soutien financier déployée à grande échelle ?
« Les gouvernements nationaux et l'Europe mettent en place des mesures de soutien financier à très grande échelle face à l'arrêt de pans entiers de leurs économies. Par exemple, le gouvernement britannique offre des garanties pour que 80% des salaires et revenus des travailleurs indépendants soient maintenus, grâce aux fonds publics. En parallèle, les banques sont sollicitées et encouragées à faire tout ce qu'elles peuvent pour que les acteurs économiques puissent survivre pendant cette hibernation et puissent se remettre au travail à la sortie, sans qu'aucune date de sortie ne soit annoncée… Malgré ces initiatives, le soutien apporté ne sera pas forcément suffisant pour tous. Selon des instances publiques des entreprises disparaitront nécessairement. Personne ne sait encore qui remboursera la facture : le contribuable ? Selon certains les plus aisés seront mis à contribution, individu ou entreprise, pour rembourser les emprunts. Les gouvernements ne souhaitent pas forcément alourdir les dettes publiques existantes encore élevés pour grand nombre de pays européens suite à la crise 2008. »
Phil Eyre, expert en économie à Grenoble Ecole de Management
4/ Gestion de stress, créativité, adaptabilité : les étudiants formés pendant l'épidémie de Covid-19 augmentent-ils leur employabilité ?
« L'adaptabilité, la prise de recul et une gestion efficace du stress font souvent partie des soft skills demandées et évaluées par les entreprises lors d'entretiens de recrutement. Les étudiants qui ont su renforcer ces compétences du fait de la situation actuelle et qui sont en mesure de les valoriser de manière efficace et créative auront peut-être un atout supplémentaire dans le cadre de leurs futurs recrutements. La gestion de l'imprévu et de l'incertitude ainsi que le management des risques font partie de la vie en entreprise. Le développement de ces compétences imposé par cette crise auprès des jeunes pourrait être un avantage à long terme dans la gestion des entreprises. L'impact de la crise sur la résilience et la créativité des étudiants est aussi à étudier sur le moyen terme. »
Rikke Smedebol, Responsable Projets Employabilité & Ingénièrie pédagogique à Grenoble Ecole de Management
5/ La crise comme un accélérateur de tendances aussi pour la formation continue
« A plusieurs égards cet épisode va accélérer des tendances qui étaient déjà à l'œuvre dans le secteur de la formation continue. Sur les modalités pédagogiques, la France fait partie des pays à la traîne dans la digitalisation des formations, malgré des développements plus importants ces dernières années notamment via l'irruption de nombreuses EdTech. Le confinement oblige de nombreux salariés à utiliser les outils digitaux, mais aussi de nombreux étudiants ou enseignants à basculer vers des modalités à distance. A l'issue de cette période, même si l'on retrouvera avec plaisir les échanges en « face à face », il est probable que beaucoup de réticences à l'usage du digital seront levées. Sur le fond, la crise achève de questionner l'économie libérale et ses travers, et va certainement renforcer la demande des individus et des entreprises pour intégrer des approches systémiques et porteuses de sens. Le développement des compétences de l'individu sera certes au service de l'organisation, mais intègrera plus fréquemment des enjeux sociétaux. De ce point de vus, les expertises véhiculées par les enseignants chercheurs de GEM seront plus que jamais au cœur de nos formations : agilité, paix économique, géopolitique ou encore transition écologique doivent non seulement alimenter nos réflexions mais se traduire concrètement dans les formations et les compétences que nous mettons à la disposition des entreprises. »
Gaël Fouillard, Directeur de la formation continue à Grenoble Ecole de Management
6/ Coronavirus, le virus qui fait aussi tousser l'Enseignement supérieur
« Depuis plusieurs semaines, le Covid-19 paralyse les activités d'un nombre croissant de pays. L'Enseignement supérieur n'y échappe pas, sérieusement impacté lui aussi. Les relations avec les institutions chinoises sont très nombreuses, les conséquences de l'épidémie ont donc nécessité des décisions dans un grand nombre de situations… À moyen-terme, je crains une baisse du nombre d'étudiants chinois (et asiatiques) dans nos programmes lors de la prochaine rentrée. Cette inquiétude fait frémir les pays qui ont l'habitude d'en accueillir un grand nombre comme l'Australie. À long terme, je crains des conséquences géopolitiques (parce que nous sommes vraiment dans un contexte géopolitique!). »
La suite à lire sur le blog de Jean-François Fiorina, DGA et expert en géopolitique à Grenoble Ecole de Management