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Covid-19 : la pandémie rend-elle la société plus responsable ?

Covid-19 : la pandémie rend-elle la société plus responsable ?
Publié le
11 Juillet 2022

La pandémie du coronavirus a mis en lumière de nouveaux comportements, parmi lesquels certains seraient plus responsables, tandis que d’autres appartiendraient au « monde d’avant ». Une équipe de recherche internationale a analysé en quoi la pandémie sanitaire a modifié ou conforté les attitudes et comportements durables de façon globale. Et, en particulier, en matière de pratiques touristiques.

Entretien avec Hélène Michel, professeure au département Management et Technologie de Grenoble Ecole de Management. Spécialisée dans le marketing et l’innovation touristique notamment, elle est la co-auteure de cette étude collective, parue dans la revue Natures Sciences Sociétés fin 2021.

En préambule, quel sens donnez-vous au concept de « société plus responsable » en matière de tourisme ?

HM : Après la pandémie, on observe une soif de découverte, d’exploration et c’est un regain de vie formidable ! Les individus cherchent à maximiser le temps disponible pour vivre intensément chaque moment. Le Covid a ainsi accentué des tendances préexistantes. Par exemple, le staycation, qui consiste à passer ses vacances sur son propre territoire – des territoires comme Auvergne-Rhône-Alpes et Grenoble s’y prêtent tout particulièrement. Ou la micro-aventure, qui propose de renouveler notre regard sur des lieux déjà largement explorés en introduisant des contraintes ludiques : faire du paddle de nuit ; faire une course en auto-stop, etc.
Le Covid a également accéléré le nomadisme digital qui permet à des personnes de travailler à distance depuis des lieux touristiques, brouillant les frontières entre temps professionnel et temps de loisirs. Et des offres se créent sur les territoires de montagne pour accompagner ces transformations, comme le Cloud Citadel à Briançon, par exemple.

Toutefois, cette soif d’exploration se traduit par la sur-fréquentation de certains lieux touristiques urbains ou naturels. Les calanques sont ainsi régulées durant la période estivale. Dans certains cas, il s’agit même d’un « tourisme de la dernière chance », qui tend à maximiser nos bénéfices individuels : « Vite ! Allons skier sur ce glacier en été tant que l’on peut ! » accélérant le processus. Le grand défi pour une société plus responsable en matière de tourisme sera donc d’être plus responsabilisante sans être totalement culpabilisante : encourager, accompagner sans mobiliser exclusivement un discours restrictif, voire punitif.

Une société plus responsable en matière de tourisme émergerait en trois étapes. Tout d’abord, à travers une phase de prise de conscience des acteurs : les touristes eux-mêmes et les destinations et organisateurs (avec l’accès à des informations claires et accessibles sur l’impact environnemental des choix touristiques). Ensuite, par l’expérimentation d’actions individuelles et collectives encore non coordonnées. Enfin, à travers une institutionnalisation par le marché des actions expérimentées pour leur permettre d’être déployées.

Vous dites observer « une « bifurcation » entre ceux qui vont accentuer une démarche responsable, amorcée dans le sillage de la pandémie voire auparavant, et ceux qui vont « décrocher » pour revenir vers « la vie d’avant ». Pourriez-vous détailler vos observations et les profils de consommateurs touristiques ?

Nous observons l’accentuation des postures de « réactance » : selon la théorie du self-licensing (ou réactance), une bonne action peut donner « droit » à une action plus douteuse. C’est cette théorie qui explique qu’une salade verte choisie en entrée justifie le choix d’une part de gâteau au chocolat en dessert. Dans le champ du tourisme, cela pourrait se traduire par le raisonnement suivant : pendant le confinement, les individus ont supporté, pour le bien de tous, un grand nombre de restrictions sur une période relativement longue (par exemple, ne plus pouvoir se déplacer librement, ne plus visiter ses amis, ses proches). Ils ont donc fait une bonne action, qui peut appeler une récompense : consommer ou voyager dès que possible. Cette hypothèse est conforme à la théorie de la réactance psychologique, selon laquelle une privation de liberté augmente l’envie irrépressible d’adopter les comportements interdits.

Pendant le confinement, les individus ont supporté, pour le bien de tous, un grand nombre de restrictions sur une période relativement longue [...] . Ils ont donc fait une bonne action, qui peut appeler une récompense : consommer ou voyager dès que possible.

En période post-Covid, ce système comptable semble se maintenir : si j’ai été sage toute l’année (j’ai utilisé les transports en commun, pris le vélo pour aller travailler, etc.), je m’autorise, voire je me récompense, par un voyage en avion vers une destination plus lointaine durant l’été. Cette situation soulignerait une porosité des secteurs dans cette comptabilité informelle : le choix de la destination estivale pourrait ainsi être lié avec le mode de consommation alimentaire de l’année. Et non pour s’aligner et ainsi poursuivre ce qui a été mis en place tout au long de l’année, mais au contraire pour bifurquer et « utiliser » son crédit.

Les comptes sont réalisés mentalement, tacitement. Les « bonnes actions » (réduire sa consommation de viande ; éviter de prendre la voiture pour des trajets courts, etc.) mériteraient d’être récompensées, par soi-même et non par une instance extérieure. C’est, pour l’instant, une motivation intrinsèque, que je réalise pour moi-même, en fonction de mon système de valeurs. Pour déployer cela, les acteurs du tourisme pourraient être tentés d’en faire une motivation extrinsèque, qui réponde à des stimuli externes, sociétaux, avec par exemple des régulations, restrictions voire punitions en parallèle de reconnaissances et de récompenses. Mais une autre piste est envisageable... 

Quelle est votre analyse et quelles sont vos préconisations : peut-on/doit-on infléchir les comportements réfractaires, et comment ? 

Accompagner la réactance lors des vacances se traduirait par différentes actions :

  • Aider les individus à tenir les comptes, de façon informelle, de leur choix de vacances en termes de mobilité, restauration, hébergement, activités… en proposant des indicateurs simples, lisibles, même s’ils semblent réducteurs.
  • Créer une temporalité : ce challenge a un début et une fin.  Cela peut être par exemple sur une semaine de vacances, et non sur une année complète.
  • Favoriser les échanges sur des pratiques alternatives, et encourager le développement de communautés pour se soutenir et s’encourager entre pairs.

Enfin, nous pourrions nous demander : que pourrait-on faire de moins ? On estime souvent que l’on doit faire plus, y compris en matière de tourisme. Or l’innovation par retrait est une tendance intéressante. Prenons par exemple les adeptes de la marche ultra légère (MUL), qui vont chercher à épurer leur sac de randonnée, en coupant par exemple le manche de leur brosse à dent. Et si cette approche d’innovation par retrait était une clé permettant d’alléger la charge physique et mentale ?

Allons-nous vers une société plus responsable grâce à la pandémie de Covid-19 ? | Cairn.info

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