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Comment rendre une innovation en santé légitime ?

Comment rendre une innovation en santé légitime ?
Publié le
16 Mai 2023

Même conforme à la réglementation et validée par des essais cliniques, une innovation en santé n’est pas forcément légitime aux yeux des soignants et des patients. GEM étudie les conditions de cette légitimité à travers des exemples comme le placebo ouvert et les dispositifs de télésurveillance médicale.

Interview de Charles-Clemens Rüling, coordinateur de la chaire Public Trust in Health

Quelle différence entre la légitimité d’une innovation en santé, son acceptation et la confiance qu’elle inspire ?

Charles-Clemens Rüling : ce sont trois notions qu’il convient en effet de clarifier. Quand vous innovez en matière de traitement, de recueil du consentement ou de parcours de santé, votre innovation est « légitime » si elle n’est pas mise fondamentalement en question. Elle est « acceptée » si elle est utilisée, tout simplement. Enfin, elle suscite de la « confiance » si le patient accepte de s’y prêter en se rendant vulnérable. Exemple : je fais confiance à mon médecin traitant et à sa recommandation, même si je n'ai pas toute l'information disponible sur le traitement qu’il me propose.

Pourquoi étudiez-vous les mécanismes de la légitimité ?

CCR : parce que c’est une condition nécessaire, quoique non suffisante, de l’acceptation et de la confiance. Je dois d’abord considérer le médecin comme légitime pour le consulter (acceptation) et pour tout lui dire (confiance). Mais si je doute de sa légitimité, je me tournerai par exemple vers les médecines alternatives.

Or, nos études ont montré que les concepteurs des innovations en santé ne se posent pas la question de leur légitimité. Leur attention est focalisée sur l’efficacité technique : est-ce que ça marche, y a-t-il un bénéfice thérapeutique ? À l’inverse, pour les soignants et les patients concernés par cette innovation, l’enjeu de la légitimité est omniprésent.

Avez-vous un exemple de ce paradoxe ?

CCR : nous venons d’interroger 60 médecins européens et américains sur leur perception et leur acceptation du placebo ouvert*. Nous attendions des réserves sur le cadre juridique, les résultats d’études cliniques ou les autorisations de mise sur le marché…  Erreur. Leurs questions tournaient autour d’enjeux de légitimité : comment mon patient va-t-il réagir à ma proposition de placebo ouvert ? Suis-je encore un « vrai » médecin si je prescris des placebos ?

Nous sommes loin de la science et de la réglementation : la légitimité est un processus d’évaluation sociale complexe, incertain, lié à une culture et à une histoire. En France, le don du sang est bénévole et la collecte est un monopole de l’Établissement français du sang. En Allemagne, des acteurs privés collectent et beaucoup indemnisent, à hauteur de 40 euros par don. Mais l’Allemagne n’a pas connu le scandale du sang contaminé…

Certaines innovations médicales deviennent-elles plus facilement légitimes ?

CCR : oui, celles qui s’effectuent à l’insu des patients. Par exemple, une nouvelle technologie d’imagerie médicale ou une nouvelle technique chirurgicale.

La question de la légitimité revient dès que le patient est dans la boucle. Prenons l’exemple du dispositif de télésurveillance de l’insuffisance cardiaque que nous avons analysé dans le cadre d'un projet européen. Soit il est implanté sous la peau sur la poitrine, ce qui est sans danger médical, mais visible pour autrui, donc potentiellement stigmatisant. Soit on vous l’implante dans l’estomac, ce qui vous permet de l’oublier ; mais il y a une intervention légèrement plus risquée. Quelle est l’option la plus légitime ? Personne ne peut l’affirmer sans tenir compte des avis des patients.

Quels sont les bons leviers pour obtenir cette légitimité ?

CCR : d’abord, chercher à comprendre les attentes des acteurs et leur envoyer des signaux qui y répondent. Preuves scientifiques, essais cliniques, statistiques, suivi de cohortes, témoignages, accompagnement…

Ensuite, ne pas brûler les étapes sous prétexte que ça marche. Se donner le temps de créer du consensus, mobiliser les acteurs, les réunir pour débattre, structurer des coalitions. Sur le placebo ouvert, une société savante organise un colloque international annuel depuis 2017, en réunissant des médecins, psychologues et experts en neurosciences. L’édition 2023 durera quatre jours et proposera pas moins de 85 conférences scientifiques ; la volonté de construire pas à pas une légitimité est manifeste.

*pratique qui consiste à prescrire un placebo à un patient en lui annonçant qu’il s’agit d’un placebo. Ce concept révolutionnaire a été validé par plusieurs études cliniques.

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