
Pourquoi certains produits font un « flop » sur le marché, alors que leur design est particulièrement soigné ? Le manque d’adéquation entre le positionnement marketing et l’image que véhicule le design du produit dans l’esprit du public est l’une des réponses à la question. Une étude empirique met en lumière les mécanismes de perception implicites qui font le succès ou l’échec d’un nouveau produit.
L'étude, publiée en 2018 dans The International Journal of Market Research, a été conduite par Caroline Cuny, enseignante-chercheure à Grenoble Ecole de Management, Université Grenoble Alpes ComUE, Jean-Pierre Mathieu, enseignant-chercheur à l'Université Paris 13, Claire-Lise Ackermann, enseignante-chercheuse au sein de Rennes Busines School et Imene Belboula, doctorante à l'Université de Blida 2 en Algérie.
Les designers produits définissent les différentes typologies du produit, le niveau de gamme, l’ergonomie, les codes couleurs… Un ensemble d’ingrédients qui confèrent une identité visuelle au produit. De leur côté, les marketers définissent un positionnement précis du nouveau produit par rapport aux produits concurrents. L’idée est de lui attribuer une valeur unique dans l’esprit du consommateur.
« L’objectif de notre étude a consisté à démontrer que, peut-être, une partie des échecs lors d’un lancement de produit provient de leur design visuel. En effet, peu de tests produits sont réalisés en amont du design produit. Et, lorsque ces tests existent, ils ne fonctionnent pas très bien, car l’évaluation est faite automatiquement (hors du champ de la conscience), ce qui fait que l’on ne pourra pas expliquer, clairement, les déterminants du succès, ou d’un échec, » constate Caroline Cuny, docteur en psychologie cognitive et professeur de marketing à Grenoble Ecole de Management, spécialiste du comportement du consommateur, du design expérimental et des mesures implicites en psychologie.
Des mesures implicites dans le paradigme d’amorçage
Le design d’un produit doit traduire le positionnement visé par les marketers. Mais, alors, comment s’assurer de l’adéquation du design avec le positionnement marketing ?
« Pour mesurer les évaluations automatiques (d’ordre inconscient), qui s’opèrent chez les consommateurs, nous avons donc utilisé une méthodologie expérimentée en psychologie cognitive et comportementale : la méthode des mesures implicites utilisant le paradigme d’amorçage. Le paradigme d’amorçage induit en effet le phénomène suivant : la présentation préalable d'un stimulus (l'amorce) va influencer le traitement d'un autre stimulus (la cible) présenté ensuite. Il y a un effet d'amorçage quand la cible est reconnue plus rapidement par les personnes exposées à l'amorce. Cet effet s’explique par le principe de propagation de l’activation en mémoire : lorsque l’on présente un stimulus, cela va activer automatiquement toutes les traces associées au produit dans notre mémoire, » souligne Caroline Cuny.
Le test montre d’abord une photo d’un produit, puis un mot correspondant à un attribut du positionnement qui lui est associé. Si les deux éléments (la photo et le mot) sont associés, le temps de réaction du consommateur s’avère plus court. « Ce test, fondé sur les mesures implicites dans le paradigme d’amorçage, a donc permis de vérifier si les éléments du design produit sont bien associés aux éléments conceptuels de design stockés dans la mémoire des consommateurs potentiels, » confirme Caroline Cuny.
Vérifier l’adéquation du design avec le positionnement marketing
L’étude, réalisée en amont du lancement par l’équipe de recherche, a porté sur les brosses à dents électriques de la marque Oral B. La comparaison a visé trois typologies de brosses à dents, ayant chacune, des caractéristiques différentes voulues par les marketers. Leurs attributs marketing : le design ; l’esthétique ; l’élégance ; la sophistication. Leurs attributs fonctionnels : la performance ; l’efficacité ; la douceur ; le dynamisme ; la fiabilité. Le résultat des mesures implicites du paradigme d’amorçage ? Sur 11 attributs de positionnement marketing, 4 éléments se trouvaient significativement associés à cette brosse à dent. La différenciation a porté sur le design, l’esthétique, l’élégance et la fiabilité.
« Notre étude ne « discute » pas le choix du positionnement des marketers. Mais elle vérifie que le design traduit bien le positionnement souhaité. D’où ces tests en amont du lancement du produit pour en vérifier l’adéquation. Notons que si l’attribut de la performance avait été un élément clé du positionnement, cela aurait abouti au changement du design, » relève Caroline Cuny. Attention toutefois aux biais d’interprétations : « Il existe en effet des « généralités » (ou standards), pour ce qui touche aux interprétations automatiques. Ces standards sont fondés sur des archétypes. »
« En conclusion, nous pouvons affirmer que les mesures implicites sont complémentaires des mesures explicites (les tests classiques de mise sur le marché). Mais il est aussi nécessaire de prôner la collaboration amont entre les équipes de design et les équipes marketing, note Caroline Cuny. Ceci, afin de pouvoir s’autoriser à modifier le design en amont du lancement, afin de modifier le cas échéant le produit pour un lancement optimum sur le marché. »
Compliqué le protocole des mesures implicites des paradigmes d’amorçage ? « Absolument pas ! Il est possible de réaliser des pré-tests de lancement, y compris implicites, ce qui permettra de réduire significativement les risques, et générera des économies lors du lancement effectif sur le marché, » confirme Caroline Cuny.