
La perception du climat des affaires par les responsables financiers français et la comparons aux résultats obtenus en Europe et dans le reste du monde. L'évaluation des sources de risque pour l'entreprise ainsi que les prévisions de croissance des ratios clés de gestion. L'impact des taux négatifs sur la relation avec les banques et les moyens mis en oeuvre par les entreprises face au piratage informatique.
Climat mondial des affaires
Rapport #3 - Printemps 2015
Juin 2015
Responsable projet : Philippe Dupuy
Equipe projet : Philippe Dupuy (GEM), John Graham (Duke University), Alain Scordel (DFCG-INP)
L'enquête Duke University – Grenoble Ecole de Management – Tilburg University mesure depuis 20 ans le climat des affaires tel que perçu par les responsables financiers des entreprises à travers le monde. L'enquête recueille un peu plus de 1000 réponses d'entreprises de tous les secteurs et de toutes les tailles. Pour la France, l'enquête reçoit le soutien de la DFCG.
L'optimisme reste de mise à travers le monde. Aux Etats-Unis, l'indicateur se repli légèrement à 62.9 sur une échelle de 0 à 100, contre 65 au trimestre précédent. Ces niveaux restent néanmoins proches des scores les plus élevés enregistrés en 2007 avant le début du dernier ralentissement économique. En Europe, le niveau de confiance observé est à nouveau en hausse à 60.4 contre 57.9 à la fin du premier trimestre 2015 (voir graphique 1). Après avoir enregistré un rebond très marqué au trimestre précédent, l'optimisme en France se stabilise à 53.1 à la moyenne des pays européens (55.4 au premier trimestre). Le Portugal et la Grèce restent les pays où les difficultés semblent les plus importantes. Ils enregistrent néanmoins et comme tous les pays européens des niveaux d'optimisme désormais supérieurs à 50. C'est en Suisse et au Royaume-Uni que les responsables financiers se déclarent les plus optimistes avec respectivement des niveaux de 70 et 68.
Sur un rythme trimestriel, les responsables financiers des entreprises (Directeurs, DAF, Trésoriers, Contrôleurs de gestion…) sont invités à donner leur perception du climat des affaires dans leur pays. Un thème d'actualité ou d'intérêt pour les chercheurs est également abordé. Les résultats de l'enquête sont régulièrement commentés dans la presse internationale comme le Wall Street Journal, le Huffington Post et sur CNBC. L'enquête est courte (environ 10 questions) et une analyse détaillée par pays est envoyée à chaque participant le désirant moins de trois semaines après. Les réponses sont anonymes. Pour le second trimestre 2015, l'enquête a été ouverte du 20 mai au 5 juin 2015.
En Europe, la confiance semble particulièrement élevée dans le secteur de la finance, de l'énergie et de l'informatique (environ 65) alors que la construction, le transport et le secteur manufacturier enregistrent les niveaux les plus faibles (en deçà de 50). Ce sont les entreprises de petite taille qui semblent profiter au mieux du regain d'activité et des conditions macro-économiques. A l'inverse des trimestres précédents, le décalage entre le degré d'optimisme pour le pays et pour l'entreprise semble se resserrer notamment pour la France, pays pour lequel un écart de 10 points a pu être observé par le passé.
Au niveau mondial, c'est en Afrique (44.4 contre 48 au trimestre précédent) et en Amérique du Sud (52.8) que les niveaux de confiance régionaux sont les plus faibles avec en particulier un optimisme en chute libre au Brésil à 35.7 contre 39 au trimestre précédent. Le Mexique ressort, à nouveau, comme l'économie où le dynamisme devrait être le plus fort dans les mois qui viennent avec 62.5. A noter que seule l'Afrique enregistre désormais un degré d'optimisme inférieur à 50 au niveau régional.
L'impact des taux d'intérêt négatifs en Europe
Le regain d'optimisme est probablement à rapprocher du regain d'activité perçu par les entreprises mais aussi de l'environnement financier qui semble plus favorable.
La politique de rachat de titres a continué à faire baisser les taux d'intérêt jusqu'à récemment. Si le phénomène est perçu de manière positive par 60% des entreprises, il devrait avoir peu d'effet sur la croissance économique. En effet, elles sont peu nombreuses à nous signaler un changement de politique de gestion. Seulement 17% d'entre elles ont augmenté leur endettement pour des dépenses d'investissement et une vaste majorité ne prévoit aucun changement de politique. Il est probable que les entreprises adoptent un positionnement attentiste face à un phénomène de courte durée : 91% d'entre elles pensent que la baisse des taux est terminée et que ceux-ci devraient désormais remonter au moins de 50 points de base dans les mois qui viennent.
Parallèlement, la hausse de la volatilité des devises augmente l'incertitude pour de nombreux DAF. Mais paradoxalement, il est difficile de trouver une région du monde pour laquelle ces mouvements sont clairement favorables. Par exemple, 43% des responsables financiers européens estiment que les mouvements des devises leurs sont défavorables. Ce chiffre est de 47% en Asie. Il semble donc que plus qu'un effet favorable de la dépréciation de certaines devises, c'est bien l'incertitude crée dans le compte de résultat qui apparaît comme un problème pour les entreprises.
La baisse des taux d'intérêt a eu un effet inattendu sur la partie courte de la courbe des taux : certaines échéances de l'Euribor ont été traitées avec des taux d'intérêts négatifs signifiant que c'est le prêteur qui paye un « intérêt » et non l'emprunteur. Cette situation peut avoir des conséquences non négligeables sur les relations avec les banques. En effet celles-ci pourraient être amenées à payer des intérêts à leurs clients notamment sur les produits indexés aux taux courts. Pour éviter cela, certaines banques imposent une limite : un plancher à zéro, aucun flux ne sera échangé si les taux d'intérêt franchissent à la baisse le seuil de 0%. Cela peut valoir aussi bien pour les crédits à taux variables que pour les produits dérivés de type swap. En Europe, 36% des DAF déclarent avoir effectivement dû faire face à ce type de limite pour leurs crédits et 20% pour les produits dérivés. En France le chiffre monte à près de 50% sur les crédits mais est en revanche plus faible sur les produits dérivés (10%). Les niveaux les plus élevés sur les produits dérivés étant observés aux Pays-Bas et en Belgique.
Enfin ces taux d'intérêt négatifs ont pu poser des problèmes dans les systèmes et dans le traitement en comptabilité pour 10% des entreprises européennes et jusqu'à 17% en France.
Sources de risque pour l'entreprise
En France, les contraintes réglementaires continuent de peser sur les entreprises bien plus que partout à travers le monde (46.7% contre 20% en moyenne). Au-delà, c'est le moral des salariés qui semble poser un risque particulièrement important en France relativement au reste du monde. Ce moral est probablement à rapporter à la faible pression salariale existant en France, elle-même due à l'organisation du marché du travail et au niveau de chômage. C'est donc une boucle contrainte réglementaire notamment sur le marché du travail – faible pression salariale – moral des salariés que les entreprises françaises mettent en avant comme risque principal aujourd'hui
Les perspectives des entreprises
Les dépenses d'investissement en produits technologiques sont attendues à la hausse un peu partout dans le monde pour ce trimestre. Avec une hausse de 8.6%, la France se situe au-dessus de la moyenne européenne (+5.89%). Ce chiffre est confirmé par les investissements en recherche et développement qui ressortent à +5.5% en France contre 3.62% en Europe. Ce chiffre de 5.5% est d'ailleurs supérieur à la croissance attendue des dépenses en R&D dans les principales régions du monde (+5.07% en Asie et + 5.21% aux Etats-Unis). Ces anticipations de hausse des dépenses d'investissement, notamment en R&D, se fait pourtant dans un contexte de faible hausse anticipée des chiffres d'affaire en France.
Piratage informatique
La prochaine enquête sera ouverte du 18 aout au 4 septembre et accessible à cette adresse : ceocfo.org/French.htm
Plus de 90% des entreprises européennes (89% en France) ont subi un piratage informatique dans l'année qui vient de s'écouler ! Ce piratage a pu conduire au vol, à la transformation ou à la révélation au public de données confidentielles. Aux Etats-Unis ce chiffre est très inférieur pour les grandes entreprises (60%) mais de même ordre pour les plus petites (90%). Cette différence significative s'explique facilement : la plupart des grandes entreprises américaines ont pris sérieusement en main leur sécurité informatique. Par exemple, durant les 12 derniers mois, 64.2% des entreprises ont acheté un nouveau logiciel de protection contre 43% en Europe et 31% en France. La protection passe aussi par la formation du personnel. Aux Etats- Unis, une entreprise sur trois a formé son personnel récemment, en France ce chiffre tombe à une sur cinq. Enfin, de manière plus inquiétante 43.8% des entreprises françaises déclarent ne pas avoir pris de dispositions particulières (11% aux Etats-Unis) et là où 32% des entreprises américaines nous disent avoir fait tester la perméabilité de leurs systèmes par des spécialistes informatiques, ce chiffre tombe en France à…0% !
A retenir
- Les responsables financiers conservent un niveau d'optimisme élevé à travers le monde et proche des niveaux observés courant 2007, année qui marque le début du ralentissement économique mondial.
- Les niveaux de confiance en Europe (60,4) et aux Etat-Unis (62,9) sont désormais proches. Seul le continent africain affiche une confiance en dessous de 50.
- La France se situe dans la moyenne européenne. A noter que plus aucun pays en Europe n'affiche de niveau en dessous de 50.
- La politique de rachat de titres par la Banque Centrale Européenne a eu pour conséquence de faire baisser les taux d'intérêt en zone euro jusqu'au point où certaines maturités courtes sont devenues négatives. En retour, un nombre significatif d'entreprises font face à l'imposition, par les banques, de seuils créant une relation asymétrique qui empêche de profiter de cette situation.
- Malgré des perspectives de croissance du chiffre d'affaire assez faible, les entreprises françaises apparaissent comme les championnes de l'investissement notamment à travers la R&D (prévision de croissance de 5,5% sur 12 mois).
- L'immense majorité des entreprises sont touchées par le piratage informatique dans le monde (90% en moyenne). Mais là où 89% des entreprises américaines ont engagé des dépenses pour se protéger sur les 12 derniers mois, seules 53% des entreprises françaises l'ont fait !
Précisions méthodologique
Les taux de croissances moyens rapportés dans ce document sont pondérés par la taille ou le chiffre d'affaire des entreprises. Par exemple, une entreprise dont le CA est de 5 milliards d'euro a une pondération 5 fois supérieure à une entreprise dont le CA est de 1 milliard d'euro. Les bénéfices, le CA moyen, les dépenses d'investissements et les prix de ventes sont pondérés par le CA. La productivité et les coûts de la santé sont pondérés par les effectifs. Les données sont estimées sur l'ensemble du panel, à l'exception des dividendes et des rachats d'action qui ne concernent que les sociétés cotées.